#14 - La Violette, plante du mois de Février
La Violette – le retour de la lumière.
Février… le mois que l’on voudrait parfois oublier pour se retrouver plus vite au printemps ! Février a la réputation d’être le plus court, mais le plus difficile de tous les mois.
Son nom latin, februarius, vient du dieu Februa, dieu étrusque de la mort et de la purification. Februa aurait aussi des racines indo-européennes : fuscus et furvus, ces deux mots étant liés à l’orage et à ce qui s’y rapporte : le froid et l’humidité, la couleur sombre, l’obscurité, la menace, le vent, le tonnerre. Aussi, Jupiter dieu de la foudre, règne en maître sur le mois de février.
Cette ambiance lugubre du mois de février est peut-être la raison pour laquelle il est aussi le théâtre de fêtes importantes :
Dans la Rome antique, c’est en février qu’avaient lieu les Fébruales, pendant lesquelles on honorait la mémoire des morts et purifiait la ville.
Au milieu du mois, on fêtait les Lupercales, dédiées au dieu Faunus, dieu des bergers et protecteur des troupeaux. Comme les Fébruales, les Lupercales étaient des rites de purification. Elles sont sans doute la latinisation d’un rite plus ancien dédié aux esprits de la nature et datant d’avant la création de Rome. Les Lupercales furent remplacées par le pape Gélase 1er en 494 au profit du saint patron des fiancés et des amoureux : Saint Valentin.
A la fin du mois de février, on fêtait les Terminales ou Terminalia, qui marquaient la fin de l’année religieuse. C’était des fêtes agraires où on posait les limites des propriétés et des champs avant le démarrage de la nouvelle année.
Les Celtes, pour leur part, fêtaient en février Imbolc, qui célébrait le réveil de la terre et les premiers signes du printemps. Comme ses équivalences romaines, Imbolc était aussi un temps de purification. Elle était dédiée à Brigitte ou Brigit, petite fille de la déesse indo-européenne Aurore. Brigitte était la déesse du printemps, de la fertilité et de la médecine. Imbolc fut elle aussi christianisée et devint la Chandeleur, fête de la purification de la Vierge.
Enfin, selon le calendrier chrétien, outre la chandeleur, le carnaval de mardi gras se tenait, selon les années, en février ou en mars. En 2020, il aura lieu le 25 février.
Il existe de multiples formes de purification et de multiples raisons de se purifier. Les rites de février sont liés au caractère menaçant des forces qui président alors : il s’agit de s’attirer leurs bonnes grâces et d’apaiser leur colère. Février est le moment d’achever le travail de décomposition commencé en automne et de se présenter neuf pour le nouveau cycle qui démarre le mois suivant avec le printemps.
Ainsi, le mois de février, entre hiver et printemps, est assurément un mois charnière, entre la mort et la vie, entre l’obscurité et la lumière.
En astrologie, c’est en février que l’on quitte le signe de terre du Capricorne pour gagner les eaux où nagent les Poissons. Février est le règne du Verseau, signe d’air associé à Ganymède.
Ganymède était un jeune homme réputé être le plus beau des mortels, à tel point que Zeus en tomba amoureux et l’enleva. C’est pour le protéger de la jalousie d’Héra son épouse que Zeus élèvera ensuite Ganymède dans le ciel sous la forme de la constellation du Verseau. Cet enlèvement mythique nous ramène au Grand Œuvre : « Les faits qui concernent Ganymède ont trait aux hiéroglyphes chimiques, écrit Michaël Maïer, médecin et alchimiste : dans ceux-ci, en effet, Ganymède s'explique, non par l'hiver qui envoie les pluies tel un « échanson » de Jupiter, c'est-à-dire de l'air, ni par le signe céleste du Verseau, mais bien par ce qui est emporté par l'aigle. C'est le fixe, amené par le volatil à la plus haute dignité. ». Autrement dit, l’enlèvement de Ganymède décrit le moment où l’élément Sel, froid, sec et fixe va peu à peu devenir pur Mercure, chaud, humide et volatil.
En agriculture, février est le moment de l’année où la graine germe dans l’obscurité et où la nouvelle pousse va, au fil des jours, trouver le chemin vers les rayons solaires.
En médecine traditionnelle chinoise, le mois de février marque le début du printemps. Février est associé à l’élément bois, au foie et à la vésicule biliaire et, par extension, aux yeux qui sont en lien avec ces derniers. Au niveau émotionnel, le bois est lié à la colère.
En raison de la richesse de son symbolisme, beaucoup de plantes se marient avec le mois de février. Cette année, nous avons choisi la Violette pour mettre l’accent moins sur la purification – il y a beaucoup d’autres temps de purification dans le calendrier alchimique – que sur le retour de la lumière.
Violette odorante. Source : base de données botaniques Sophy
La Violette fait partie de la famille des Violacées qui regroupe aussi les pensées, avec lesquelles on peut parfois la confondre. Parmi cette vaste famille, c’est la Violette odorante que nous préférons, pour son parfum délicat, léger et un peu suranné.
La Violette apparaît dès le début du printemps, parfois même sous la neige. Elle pousse à l’état sauvage, de préférence en forêt ou le long des chemins, mais on peut aussi la cultiver au jardin.
Tout est bon dans la Violette odorante : les fleurs, les feuilles et les racines. On cueille les sommités fleuries le matin, par beau temps. Attention cependant, la cueillette des Violettes sauvages est protégée par la loi.
Les vertus de la Violette furent révélées par les médecins arabes au Moyen Age et il semble que les auteurs de l’antiquité les ignoraient. La Violette était alors surtout utilisée pour prévenir les migraines liées à l’ivresse : on en tressait des couronnes que l’on portait autour du front les soirs de banquets trop arrosés.
La Violette a tendance à être délaissée aujourd’hui, aussi bien en phytothérapie que dans la parfumerie. C’est un peu dommage, car ses bienfaits sont bienvenus à cette période de l’année :
Elle est dite « béchique et expectorante », mais aussi diurétique et sudorifique : des atouts précieux en cas de rhume, grippe et plus généralement d’irritations de la gorge. La Violette est fréquemment associée d’autres plantes adoucissantes comme la Mauve, le Bouillon-blanc ou le Coquelicot.
La Violette fraiche peut aussi accompagner les salades ; elle est alors légèrement laxative.
En magie végétale, la Violette est symbole de modestie, en lien avec son côté caché lorsqu’elle pousse à l’état sauvage. Elle est aussi symbole de sincérité, de respect et d’intégrité.
On voit donc que la Violette mérite bien sa réputation de modestie : tout ce qu’il y a en dire tient en quelques lignes, et pourtant…
La violette ne nous cacherait-elle pas autre chose ?
L’Adoration des bergers
Que fait-elle donc, par exemple, au premier plan du triptyque de Portinari de L’Adoration des bergers ?
Dans ce tableau de la Renaissance, deux vases sont posés à terre; dans l’un, des fleurs d’Iris et de Lis, dans l’autre, des Ancolies, des Oeillets et des Violettes, dont les fleurs jonchent le sol. Toutes ces fleurs ont été choisies pour leur symbolisme.
Chloris et Zéphyr, La naissance de Vénus, Boticelli, détail.
La Violette est ainsi liée à la Vierge et à la nativité, mais pas seulement : la Violette est aussi la fleur de Chloris - nymphe dont le nom se retrouve dans « chlorophylle ». Cette jolie nymphe est représentée dans deux des plus célèbres tableaux de Botticelli : Le printemps et La naissance de Vénus. Zéphyr, nous dit la mythologie, conquis par la beauté de Chloris, lui offrit l’empire des fleurs, rien de moins ! Cet enlèvement de Chloris par Zéphyr n’est pas sans rappeler celui de Ganymède par Zeus dont il était question plus haut.
Mais arrêtons nous un peu sur Zéphyr. Zéphyr, nous dit Ovide, est le vent, doux et pluvieux, qui souffle au printemps. Il est né de l’union d’Astrée et d’Aurore « aux doigts de rose », l’enfant du matin – cette même déesse Aurore, qui chez les Celtes, deviendra Brigitte, célébrée à Imbolc, au début du mois de février. Zéphyr est le vent qui vient de l’Ouest ; l’Ouest, dans la tradition, est le lieu des ténèbres et de l’obscurité.
L’association du couple Chloris-Zéphyr avec le mois de février, comme celle de ce dernier avec Jupiter met l’accent sur le vent et le souffle, qui chasseront l’obscurité et les nuages de l’hiver, purifieront le ciel et permettront le retour de l’astre solaire. Cette action purificatrice du vent ou, autrement dit, de l’élément « Air », moins violente que la purification par l’eau ou par le feu, est symbolisée par la Violette, délicate et fragile.
La compagne de Zéphyr, la belle Chloris, est associée à Flore, sa sœur latine, qui, quant à elle nous entraine sur les pas des alchimistes.
C’est en effet en l’honneur de Flore qu’ont été créées les floralies et leurs jeux floraux, dont les liens avec l’alchimie ont été mis en évidence par Pierre Dujols dans La chevalerie amoureuse, troubadours, Félibres et Rose-Croix.
L’Académie des jeux floraux est sans doute l’une des plus anciennes académies. Fondée à Toulouse au 14ème siècle, elle avait la charge d’organiser tous les ans un concours de poésie en langue d’Oc. Les vainqueurs recevaient une fleur d’argent ou d’or : Eglantine, Souci, Amarante ou Lys et le meilleur d’entre eux recevait une Violette d’or.
Derrière ces joutes verbales, où rivalisaient d’éloquence poètes et troubadours, se cachaient bien souvent de précieux enseignements en « langue des oiseaux », la langue des alchimistes et des initiés.
Dans cette langue secrète, l’innocente Violette occupe une place de choix par l’analogie entre son nom en latin viola et le verbe violare qui signifie « altérer » ou encore « dire une chose pour une autre ». La Violette désigne ainsi le double langage, le fait de jouer sur les mots pour travestir ce que l’on cherche à dire en réalité. Par ailleurs, ces batailles de mots étaient souvent accompagnées du son d’instruments dont la viole, qui, nous dit Pierre Dujols, était un symbole de la cabale, autre nom donné à la « langue des oiseaux », « gaie science » ou « gay savoir », portée par les malicieux troubadours qui en connaissaient tous les secrets. Rien d’étonnant, donc, que la Violette d’or fut la récompense suprême des jeux floraux, indiquant ainsi l’objet réel de ces festivités.
Que les joutes verbales de l’Académie des jeux floraux fussent en réalité un moyen pour divulguer secrètement la sagesse antique tout en l’affichant aux yeux et aux oreilles de tous est une hypothèse rendue crédible par la coïncidence des dates relevée par Pierre Dujols. En effet, l’Académie est créée à Toulouse en 1323 ; or, dans les 10 années qui ont précédé cette création, le grand Ordre du Temple a été contraint de regagner l’ombre après l’extermination de ses membres par Philippe le Bel. C’est ensuite au tour de l’hérésie cathare, en 1320, de faire acte de soumission au Pape. Avec la disparition des Templiers et des Cathares, le catholicisme éliminait tout pouvoir spirituel autre que le sien et l’église catholique devenait le seul chemin menant au ciel.
Quels étaient donc ces secrets si dangereux pour l’église de Rome ? En quoi les initiés représentaient-ils une telle menace pour le pouvoir en place qu’il fallut les écraser, les spolier de leurs biens et souvent les exterminer pour les réduire au silence ? La réponse est simple : ces secrets venus du fond des âges étaient liés aux mystères antiques, aux anciens cultes agraires et de fécondité, cultes rendus à Isis, Cybèle, Déméter, Koré, Perséphone, … Ce sont toutes les divinités féminines antiques que l’Eglise de Rome a voulu faire disparaître, ces divinités qui célébraient le pouvoir féminin sur la germination, la génération et la naissance, sur le cycle de la vie et de l’alternance entre le jour et la nuit. La christianisation s’est alors accompagnée d’une masculinisation complète de la spiritualité et de la société.
« Dites moi dans quel pays est Flora, la belle romaine… mais où sont passées les neiges d’antan ? », se désolait François Villon dans sa célèbre Ballade des dames du temps jadis. Cependant, grâce aux troubadours, qui chantaient pour leur « Dame mystérieuse », qu’ils appelaient « leur fleur » ou « étoile d’Orient », voilée et protégée par la langue des oiseaux, la Sagesse antique a pu traverser sans crainte les siècles et les persécutions. C’est cette Sagesse antique qui est symbolisée par la Violette que les Troubadours vénéraient tant. La présence des fleurs de Violette, élégamment dispersées à terre au premier plan de L’Adoration des bergers dont il était question plus haut est un discret rappel de ce que le culte de la Vierge Marie doit aux divinités antiques qui durent s’effacer pour lui permettre de s’imposer comme seule et unique représentation féminine tolérée par l’Église.
Pour conclure, rappelons que la Violette des sages est le nom donné par les alchimistes à leur premier soufre : « dans le langage oral des Adeptes, cependant, ce corps n’est guère désigné autrement que par le terme de violette, première fleur que le sage voit naître et s’épanouir, au printemps de l’œuvre, transformant en une couleur nouvelle la verdure de son parterre. ». Hélas, nous n’en saurons pas davantage sur la mystérieuse Violette qui gardera ses secrets : en effet, continue Fulcanelli, « nous croyons devoir suspendre cet enseignement et garder le prudent silence de Nicolas Valois.» (Fulcanelli, Les demeures philosophales, tome 1, p 324).
La sombre Violette porte en elle le mystère du retour de la lumière, miracle renouvelé chaque année, au mois de février, de la sortie des ténèbres chassées par le vent et purifiées par la pluie. La petite Violette perçant déjà sous la neige est ainsi le premier signe du réveil de la Nature.
Les vertus énergétiques de la Violette sont à l’image de cette transition entre l’ombre et la lumière : la Violette est une plante guide, qui protège et accompagne tous ceux qui veulent renouer avec cette Sagesse antique de la nature et vivre pleinement ce moment d’éveil et de retour de la lumière.